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S'asseoir au bord du monde
26 août 2019

Incendies.

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(Aquarelle - ©PavillonNoir 2019)                                

  « Mais la terre s’est ouverte, là bas quelque part, mais la terre s’est ouverte et le soleil est noir ». Barbara

                                                                                                           

  Le sol se déchire sous les pieds. Il s’entrouvre et laisse apparaître le charbon encore ardent des terres brulées. Le feu a repris. Les flammes sont montées dans l’air en se tordant de rouges, jusqu’à toucher les étoiles, elles ont grimpées si haut que le ciel a des airs de grand brulé. Il tousse, je l’entend. T’en fais pas vieux. C’est juste l’incendie de l’humanité, ça finira par passer. Enfin, je crois. Au pire, il semblerait qu’on s’y habitue.

J’essaye de retrouver dans ma bouche le goût qu’avait la vie avant, y’a longtemps, avant la chute. Celle où que j’suis tombée face contre terre, parce que j’m’étais pris les pieds dans la réalité. C’était arrivé comme ça, et du jour au lendemain les coloriages où fallait pas dépasser étaient devenus des carnets noircis de maux. Peut être que le fait de ne pas devoir dépasser n’a pas aidé. On n’a vraiment pas idée de mettre les oiseaux en cage.
Ce goût. Ben ça veut pas, j’l’ai pas. Le seul goût que j’ai dans la bouche maintenant c’est c’lui de l’amertume, de la colère et des centaines de clopes que j’ai fumé persuadée que mes poumons sont invincibles. Parce que si mes poumons sont invincibles, mes espoirs le seront aussi. On s’accroche à ce qu’on peut, le tabac est un dieu comme un autre. Un mensonge, un salaud comme un autre. En tout cas, je suis bien à ma place, à allumer l’incendie en moi chaque jour dans mon propre corps, à la même place que mes semblables à allumer celui du monde sur leur propre terre. Qui se ressemblent brûlent ensemble.


Quel goût ça avait putain? Celui des frites, des haricots verts qu’elle cuisinait en sifflotant avec des caresses au chat, ou celui des bonbons au miel qu’il nous donnait en voiture, celui des crayons mâchés et des gommes grignotées, ou celui de la pâte à modeler, à modeler des mondes d’avant la réalité, celui du pouce dans la bouche et de ses caresses sur le front, celui du sel des vagues et du sable chaud et croquant sous la dent, ou celui que y’avait dans les assiettes de la table des enfants, et après on pourra aller jouer. Ça serait trop facile de dire que ça avait le goût des inconsciences ou de la liberté, parce que je m’en souviens foutrement pas. Quel goût avait le monde avant de devenir immonde? Et quel goût ça avait pour l’enfant qui dormait dehors?

  Pourtant des incendies y’en a des biens. Je sais pas moi, mais quand le ciel s’embrase au petit matin pour te dire allez on remet ça, tout feu tout flamme, c’est tellement beau que ça viendrait pas à l’idée d’appeler les pompières pour éteindre le jour quoi. Je veux dire, même si à l’intérieur de toi c’est carnage, que tu viens de faire péter une bombe phosphore dans ton cœur où juste que t’as plus le goût de rien, cet incendie là tu serais limite prêt à payer pour voir le spectacle et t’irais t’asseoir sans broncher au premier rang même si dans ta jeunesse t’as passé ta vie à t’asseoir tout au fond contre le radiateur. Tu le feras parce que cet incendie là il réchauffe mais sans brûler, et puis il conforte. Le goût de l’aurore c’est quelque chose, c’est subtil. C’est suave, sucré, doux. C’est pas pour rien que y’en a qui sont prêt à mettre des réveils pour y assister.
  Ou l’incendie des astres. Quand la camaraderie s’allonge sous la voûte du monde un verre d’eau de vie à la main qui te réchauffe les entrailles, et que les millions d’yeux scintillants de la nuit t’épient de si haut, si haut que tu te rappelles combien t’es minuscule et combien tout ça est grand, bien plus grand que quiconque ou quoi que ce soit, et ça te brûle un sourire sur les lèvres et ça te brûle l’angoisse du néant comme un flash.  
  Y’a celui des tendres aussi. Celui qui t’enveloppe comme dans des grands bras infinis, et que tu te roule en boule tout dedans, tellement que t’as l’impression d’être ronde comme la terre dans sa Voie lactée à flotter dans rien, que tout s’arrête et que y’a pas besoin de savoir quelle heure il est ou quel goût aura le baiser. L’incendie fait de papillons-flammes dans le ventre. Même que c’est complètement insensé de te sentir partir en arrière en te plongeant en avant dans ses yeux et que ça a parfois le goût de l’éternité.
  Pi y’a l’incendie des causes. Celles qui font que t’es prête à brûler tes ailes alors que dès le départ tu sais très bien que jamais t’as volé et que jamais tu t’envoleras, et pourtant tu trouves le moyen de te fabriquer des ailes. Pour te sentir portée, et surtout pour porter quelque chose. Les causes toujours. Enfin, celui là vu qu’il peut pas rivaliser avec celui du cause à effet, t’façon foutu pour foutu, je suis plus trop sûre de le ranger dans les beaux incendies.

Enfin tout ça ne me dit pas quel goût avait le début du voyage. Et j’arrive pas, j’arrive pas à le retrouver sous tous les additifs. Sous les remontées acides des doutes, sous le fer des blessures mal pansées, sous l’trop salé des larmes, sous les nausées de bitume ou les effluves d’alcool et de spleen. Pourquoi les alchimistes ont-ils cherché l’immortalité et pas ça, ce goût là? Putain les mecs sérieux. On voit vraiment le sens des priorités. À quoi bon être éternel sans avoir vécu.

  Et pourquoi tous ces grands abrutis qui se réunissent autour d’une table ronde pour mettre le feu au monde? Parce que dans leur bouche c’est le goût de la mort. Ils ont tellement été au premier rang en jouant des coudes et en donnant des bakchichs pour s’y installer qu’ils ont pas eu le temps de savourer le sucre des rayons de soleil qu’on s’échangeait à la récré et l’acidité des premières pommes dans les champs. Et ils sont là à mâcher leur cravate en soie. Le grand incendie c’est eux. Et crois-moi que s’ils crachaient tous réunis sur les flammes celles ci brûleraient de plus belles. Ils sont pourris de l’intérieur à avoir avalé autant de kérosène.

Je crois que ça avait le goût du présent. Oui c’est ça. Et qu’ensuite il a été pollué et empoisonné par celui de l’histoire et des futurs sans avenir.




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