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S'asseoir au bord du monde
5 août 2019

Pas de quartier pour la Vie.

 

 

                                                                                    *

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(Photo ©PavillonNoir 2019)

 

    Le cynisme urbain. Quartier Vie Longue. Pour une société qui s’échine à te faire courber l’échine jusqu’à la mort, c’est osé. Comme si dans ce panneau se tenaient toutes les fausses promesses du grand spectacle qui nous entoure. Ce doit être un de ces éditocrates serré dans son cachemire qui a trouvé ce nom. Du genre de ceux qui vantent les bienfaits du travail jusqu’à 75 ans. Pour les autres. Mais merde, quelle vie longue, sur une terre promise à néant? Y’a un moment où ils vont comprendre qu’ils sont pas crédibles à regarder danser les flammes en tenant le bidon d’essence à la main?    

   La misère continue de s’échouer comme une barque trouée sur les rives de la civilisation. Civiliser: rendre policé et sociable un peuple qui vit à l’état sauvage. Tout est dit. La liberté continue de s’échouer sur les rives des pays « démocratiques ». Pays démocratiques. Putain qu’est ce qu’il faut pas lire. Y’a des jours, la farce est encore plus grossière que leurs grands mots sournois écrits sur les frontons des mairie. Ils écrivent LIBERTÉ en majuscule au marqueur sur les bombes qu’ils envoient, avec un smiley cœur que ça m’étonnerait même plus.

     Si c’est là ce que doit être cette société moderne, dont on nous rebat les oreilles, c’est la civilisation même qui est coupable d’avoir apporté la misère à la plus grande partie de l’espèce humaine.

      Le cynisme urbain et ses armées bien rangées au pas de plots pointus pour empêcher la misère de trouver un semblant de repos, aux pieds des banques et des agences immobilières, c’est que ça fait tâche ma pauvre dame. Tâche de pisse, tâche de sang. Tâche de faim. Tâche de vie, tâche d’humain. D’humain qui tient à sa vie. Ces canines plantées au sol, dents acérées, mâchoire du capital, ogre doré. Comptes tes morts petit bâtard.

    Comme quelqu’un l’a dit un jour, ils font tout pour les pauvres, sauf les laisser tranquilles. Même l’argent qu’ils donnent pour les enfant des pauvres, ils l’ont arraché aux pauvres.  

   Comptes tes morts. Ceux en bleu de travail et en chaussures de sécurité. Dans les mines, les carrières, sur les chantiers. Tu sais, ceux qui montent à l’échafaud-l’échafaudage et en tombent tout droit, droit dans la tombe, pour construire tes boîtes à vie longue, et aussi toutes tes grandes tours de verre, dans une course à qui a la plus grande. Ces grands vers de terres d’asphalte, inanimés, droits et froids que tu décores avec des arbres pour en cacher l’essence brute de métal, de sueur et de béton. Pour cacher qu’entre leurs murs se tient la débauche du luxe, construite d’embauche à la journée, au petit matin sur les parkings des bouches affamées. Tous tes grands projets gris qui te grisent le portefeuille. Tous tes grands projets inutiles qui mutilent le corps de la terre, le corps des horizons et le corps des ouvriers sans qui tu ne pourrais pas même assembler deux briques. Et pourtant, des briques, t’en récupères plein, toi et tous tes grands potes.

   Comptes tes morts. Ceux que tentent de sauver les blouse blanches auxquels tu réponds avec un mépris ignoble lorsqu’elles, comme qui dirait, se ruent sur les brancards pour te signifier à quel point c’est la merde là dedans. Mais toi tu t’en fous, t’as tes cliniques privées pour y soigner ton rhume et tes ongles cassés. T’as beau accrocher des défibrillateurs dans les lieux publics comme des jolis tableaux à regarder, mais tu laisses des cœurs s’éteindre et la maladie étreindre les patients, dans les draps blancs des lits qui saturent les couloirs, et s’entassent comme des charriots de bêtes malades. Les patients. Faut l’être de plus en plus avec toi, patient. Comme un oisillon qui attend la becquée dans son nid de mort. Tu me débectes. 

   Comptes tes morts, sale charogne. Ceux que tu laisses pourrir dans les eaux salées, remparts de l’horreur. L’écume des jours sombres. Ce sont les enfants de tes guerres dégueulasses qui tentent de trouver refuge au delà des vagues. Et toi, toi, tu poses ta grande main pleine de bagouzes dorées sur leur tête pour les tenir sous la ligne de l’eau, car s’ils voyaient la ligne d’horizon ils continueraient à avancer dans un élan de vie dont tu n’as même pas idée.  Les eaux salées ou les eaux douces, qu’importe. Tu aimes bien ça, l’eau, pour y faire noyer les élans de vie. Ceux et celles qui fuient, ceux et celles qui dansent. La Seine n’a rien oublié, la Loire ne le fera pas non plus. Toutes ces eaux se sont figées en miroir de tes meurtres et je voudrai qu’on t’y accroupisse et qu’on t’y tienne le visage, là, juste à la surface, pour qu’il s’y reflète. Coupable.  

  Comptes tes morts. Dans tes geôles où tu continues d’enfermer celles et ceux qui ne se sont pas laissé poser des barreaux à la pensée. Ceux qui se foutent de ton chloroforme, tes uniformes et tes bons points. Ceux qui brûlent tes cartes avec leurs frontières tirées à quatre épingles. Ceux qui déchirent les histoires moribondes et pestilentielles que tu laisses traîner dans les paquets de céréales pour en faire des petits feux de joie et qui font feu de tout bois pour y danser autour jusqu’au petit matin, au moment où toi tu remet ta cravate étriquée. Et avec le charbon ils en font un crayon et te dessine des moustaches de bourgeois et des cornes de cocu. Ceux qui trompent ton monde chaque matin en faisant un joli doigt d’honneur à ton règlement intérieur universel. Ceux qui ont l’audace de te déclarer la guerre pour continuer à se déclarer leur amour. Ceux que tu poses en pâture pour l’exemple sur la grande scène de tes injustices, là sur le parquet ciré, ciré par des invisibles, où valsent ces robes noires à cols blancs, qui fricotent avec les treillis bleus et kakis. Selon l’IGPN ils vécurent heureux et eurent beaucoup de petits prisonniers. 

    De tels verdicts sont un crime contre la vérité. La loi est un mensonge, et à travers elle les hommes mentent sans aucune pudeur

   Comptes tes morts, au lieu de distribuer des médailles à tous ces traîtres, maudit sois-tu. Oh mais j’ai bien compris va, c’est qu’il ne reste plus grand chose de rempart entre ta peur et nos espoirs et que c’est l’heure des poulets-au-pot-d’vin. Faut les tenir proche de la niche dorée. Rien d’étonnant lorsque le maître distribue des petits biscuits. Braves bêtes.  Comptes tes morts, pendus, là, dans tes centres de rétention où tout ce que l’on retient c’est que tu enfermes des enfants, ces mêmes enfants que tu soumets à des tests osseux pour leur donner un âge, celui qui t’arrange bien, plutôt que de les écouter, les mettre à l’abris, cobayes de ta politique d’accueil monstrueuse. Quel accueil. Ce pays-monde est une terre de torture, qui la ramène pour faire la morale aux autres avec des grands airs. Tu me dégoûte. Et tous les petits soldats, qu’ils soient aux frontières ou dans les bureaux, qui participent à ça me dégoutent. Y’a pas d’sot métier comme on dit, ce qui est sûr, c’est que des métiers de collabos, y’en a des tas.  

Je crois que tu ne pourras jamais compter tous tes morts.

 

                                                                                             *

  Le problème c’est que tu refuses de voir que tout ça est réel. Le problème c’est que tu cherches sous chaque matraque qui frappe une excuse, ou une preuve de ton déni vas savoir. Sous chaque discours un guide pour faire le boulot à ta place. Mais hé, tu te fais enfler à chaque fois, tu le sais non? La liberté ne s’achète pas, ne se prend pas: elle s’arrache. On te ferait boire du sang, et même ton propre sang que tu te persuaderais toujours que c’est de la grenadine. Le problème c’est que tu penses que ton salon, que ton salaire, que tes objets, te protègent de la violence du monde, de la violence des hommes. Le problème c’est que tu oublies que la violence est réelle, et qu’elle n’est toujours tournée que d’un côté. C’est toujours les mêmes qui paient depuis des siècles. Y’a un moment va falloir accepter que oui, t’es du côté des perdants, mais que non, la partie n’est pas finie. C’est leurs règles, refuses les. Et écris en d’autres. Vas les écrire sur les murs tiens, tu verras ça fait du bien, c’est comme crier d’un pont mais en silence. Et ça laisse plus de traces. Le problème c’est que tu sais très bien que l’enfant qui nait a déjà les mains attachées et aura tout un tas de maîtres. Et toi tu continues de rêver d’appartenir à la classe des maîtres. Mais ils ont jamais voulu de toi, tout ce qu’ils veulent c’est se servir de tes rêves, de tes illusions et de tes fatigues pour faire perdurer leur cauchemar sans trop se salir les mains. N’oublies jamais qu’ils portent des gants, et il n’y a rien de mieux pour étrangler quelqu’un sans laisser de traces. 

  Mords la main que tu nourries, TU nourries, avant qu’elle ne t’étrangle. 

  Il y a mille façons de raconter une histoire. Et encore mille autres de l’écrire. Tu vas continuer encore longtemps à te laisser encrer l’humanité oui? Combien de siècles encore dans cette mascarade? Combien de parties de chaises musicales à regarder danser les trônes? Tu trouves pas que voir des gamins enfermés et d’autres qui tiennent des flingues en joue ça mérite pas qu’on renverse la table? Quoi, t’as peur qu’on casse ta belle vaisselle? Ne t’inquiète pas, ton voisin a la même. Vous avez tous la même vaisselle maintenant. Vous êtes dans la même maison de poupées, avec la même dinette, à bouffer la même soupe chaque soir et à vous offusquez des malheurs qui se passent dans les pays les plus loins de vous sans vous rendre compte que vous avez traîné de la merde sous vos chaussures jusque sous la table à manger. Exactement la même merde.  

Mais c’est pas à toi que j’en veux, tu sais. J’en veux à ta colère qu’a vendu sa langue au chat. Au chat qui te vend des cachetons de toutes les couleurs et qui rendent ta colère sourde. J’en veux au fait que tu pense y avoir trouvé ton compte et que t’ai décidé de baisser les bras, parce qu’au fond le canapé est plus doux que la vérité.On t’as tellement convaincu que t’étais qu’une sous merde que tu nages dedans. T’es noyé.e dans tes fatigues, dans tes combats sans fin à chercher la lumière au bout du tunnel. À force de torcher le monde t’as plus l’énergie de le regarder en face. De regarder dans les yeux ce monstre qui te suce les entrailles et te le revend emballé dans du plastique. C’est comme ça qu’il survit, c’est même plus le serpent qui se mord la queue, il s’avale tout entier, se recrache, et recommence.  

On ne peut pas faire travailler un homme comme un cheval, le faire vivre et le nourrir comme un porc, et dans le même élan, lui demander d’avoir des aspirations saines et des vues pleines d’idéal.

   Pardon.  

Mais à quoi ça rime tout ça. On peut bien se moquer des fous, mais on est bien tous schyzo à vouloir mettre des belles nappes sur les tables alors qu’on sait très bien qu’il n’y aura jamais rien à fêter tant que c’est la misère qui aura cuisiné les plats du banquet. Même qu’on est assez fous pour lui laisser un pourboire et dire que c’était très bon et qu’on reviendra.  On sait très bien que pour le buffet, il a fallu que les femmes dressent la table, que les esclaves de couleurs la servent, et que des gros porcs s’y assoient et s’engraisse, se servent des carafes entières de pétrole, des cuillères d’or et de diamants, des bols de coton farcis à la sueur, des louches de sucre aux coups de fouet et des flûtes de larmes pétillantes. Et comme le bruit des chaînes faisaient un peu de raffut, en plus de jeter des os ils ont fini par jeter quelques trucs en plus, histoire d’endormir un peu les dissidents qui l’ouvraient pour arracher plus de viande et survivre.  

Les chaînes sont devenues transparentes, on les trouve même à prix réduit sur Amazon. Habile.  

Énième constat de cette grande projection ratée où on est tous et toutes recroquevillés sur nos strapontins à regarder le monde partir en. Partir en. Dans une salle sur-climatisée, faudrait pas que les esprits s’échauffent, même si ça nique le climat. À piquer du pop corn dans la main du voisin, on en fout la moitié par terre, la boîte aussi quand elle est vide. On s’en fout, c’est pas nous qu’on ramasse. Clap de fin. Générique: Producteurs, réalisateurs, toujours les même noms. Et on reste là à regarder le nôtre passer dans ceux des figurants. Et on a encore cassé notre tirelire pour aller voir cette bouse qui nous fait croire que la violence elle est que dans les films, et que c’est pas gentil d’être méchant. Y’en a même qui disent que les méchants ont un cœur. Depuis quand le pouvoir naît dans le cœur? Moi ce que j’ai compris, c’est que le pouvoir le rend tout sec et le bouffe.  

  Je sais bien qu’aujourd’hui les révolutions ne servent plus qu’à créer des titres odieux de livres de langue-de-(remplacer pute par fils-de-frotteur, merci). Mais c’est peut-être pas un grand soir qu’il nous faut, peut être que c’est juste un petit matin? Oui je sais, c’est naïf de penser que la rosée du jour pourra laver la nuit. Le truc c’est que ce n’est plus une histoire de révolution. Le truc c’est que les colères se nourrissent de l’injustice. Et que le sentiment d’injustice peut bien avoir déjà des siècles, qu’on peut bien essayer de le rendre sénile, ce sentiment là, c’est leur bombe à retardement et il est partout. Partout.  

Je ne voudrais pas être présent lorsque tous ces gueux crieront d’une seule voix à la face du monde.*

  Peut-être que le plus simple, c’est de mettre une belle nappe sur la table, d’aller s’asseoir dans le canapé, et d’attendre que les porcs s’empiffrent et s’étouffent.

 

*Le Peuple d'en bas, Jack London.

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