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S'asseoir au bord du monde
3 janvier 2018

Chaos nocturne.

Je voulais redevenir poussière d'étoiles. Je voulais que ce corps si lourd à porter quitte la croûte terrestre, l'ozone, la gravité, explose et s'éparpille dans le vide. Que chaque molécule se disperse dans la nébuleuse dans une danse du néant.

Redevenir poussière d'étoiles et errer dans un espace sans temps, sans lumière, sans bruit. Ni froid ni chaleur. Sans sensations, ni picotements, ni tremblements, ni raideur, ni frissons, ni frottements. Ni douleur.

Dans le silence absolu, ne pas devoir choisir entre crier et se taire. Faire la paix ou déclarer la guerre. Être pour ou contre. Obéir ou désobéir. Ne pas devoir choisir, ne pas devoir tout court.

N'avoir ni son, ni voix, ni ton, ni mots, ni phrases, ni murmures, ni chuchotements, ni râle, ni soupir. Ni ponctuation. Plus d'interrogation, plus d'exclamation, plus de guillemets, plus de parenthèses.

Dépourvue du moindre doute, de la moindre peur, excitation, adrénaline, humeur. Du moindre soubresaut mental qui fait que cette tête accrochée à ce corps est comme ce navigateur effrayé devant le gouvernail de son propre bateau. Plus aucune écume qui ne vienne mousser sous les yeux. Plus de tempête à braver, de vents et de tornades à affronter. La mise en cale sèche du cœur, abandon de l'abordage du vivant, loin de la terreur des fonds humains.

Redevenir poussière d'étoiles pour toucher l'absolu. N'avoir plus de sens à chercher, de mystique à adorer, de destination à dénicher, de but à conquérir, de chemin à tracer, de panneaux à déchiffrer, de plan à lire.

N'avoir plus de justification à fournir, de mensonge à inventer, de désir à assouvir, d'affection à quémander, d'empathie à donner. De raisonnements raisonnés à tenir, de connaissances manquantes à combler.

Ne plus devoir nourrir ce ventre, calmer ces palpitations, inspirer et expirer, masser ces épaules, épargner le souffle, recoudre toutes ces blessures, panser les bobos et fermer ces plaies. Aussitôt fermées, aussitôt rouvertes.

Ne plus avoir à tenir compte de la fatigue, des membres endoloris, des points de tensions éparpillés dans ce corps comme les points radiants d'une voûte céleste. Des insomnies et de ces instants bleus où doucement la folie d'une nuit trop blanche s'immisce sous la peau comme l'encre sur la feuille et agite et brouille l'esprit qui devient noir. Ne plus considérer le lever et le coucher, l'avant et l'après, le début et la fin. Ni jour ni nuit. Ne plus être pressée. Impatiente. N'attendre plus rien de.

Embrasser enfin sans lèvres et sans gestes. Embrasser sans attendre un baiser en retour, sans attendre une caresse de velours. Embrasser le Néant.

Embrasser le Néant et le laisser m'etreindre et me bercer comme un enfant qui s'ensommeille. M'y fondre comme l'acier dans la fournaise, brûlée par la volupté abyssale de ses longs bras étoilés en spirale. Et y expirer l'Etre.

 

***

 

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(Feutres - ©PavillonNoir 2018)

 

Le point du jour apparaît. Le matin s'éveille doucement. Une clarté rosée s'immisce le long d'un raie de lumière dans le volet entrebaillé. Le jour s'émancipe de sa nuit et s'étire longuement dans son lit de nuages. Un rayon tiède s'infiltre par la vitre et dépose une caresse réchauffée sur ma joue. J'ouvre à demi les yeux. Le trait de lumière perce l'air de la chambre assombrie, et des grains de poussière y flottent délicatement, jolie valse muette de l'infiniment petit. La chaleur moîte du cocon de couvertures laisse mon corps encore évanoui. J'entends un oiseau tout près dehors. Je crois qu'il vient de dire à l'aurore qu'elle est encore plus belle qu'hier. J'écoute ma respiration qui quitte le mode automatique du rythme somnolent. Le dôme de couvertures se lève et se rabaisse au dessus de mon ventre, petite coline vivante. Les Joueurs du Tambour de la Cage Thoracique viennent s'installer dans mes tempes et battent le rythme saccadé du réveil. Po pom. Po pom. Le brouillard du sommeil se dissipe lentement à la cime de mes pensées, et quelques bribes de rêves effilochés y restent accrochés, incomplets et vitreux,avec un arrière goût d'étoile et de big bang. J'etends mes bras, mes jambes, je m'etire et baille à voix haute. Deux larmes quittent le coin de mes yeux et viennent s'écraser sur le tissu chaud de l'oreiller. Crash sans retour pour ces perles salées qui finiront absorbées dans les fibres tissées. Quelle drôle de vie que celle d'une larme, étoile filante de la planète Iris.

Je me redresse et me défait des couvertures. Subitement, le contact avec l'air ambiant de la pièce laisse sur ma peau comme l'impact de dizaines de petites météorites, elle se parsème de petits points. Et un frisson vient serpenter tout le long de ma colonne vertébrale. Mes yeux enfin grands ouverts se posent sur l'oreiller : trempé. Il scintille. De poussière d'étoiles. Je me lève et m'habille. Je me lève et quitte le lit. Je me lève et quitte le Néant. Divorce à l'amiable, le temps de m'occuper de ma vie. Et d'apprendre à chanter l'aurore comme l'oiseau.

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