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S'asseoir au bord du monde
1 juillet 2022

I walk the border line.

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Il y a la ligne du bord: d’un côté leur monde, de l’autre le mien.
Il y a la ligne du bord et ces deux mondes qui s’entrechoquent, comme deux planètes dans l’espace infini.
C’est la bordure des émotions et elle porte en elle les barbelés de la doulère: la douleur-colère.
Lorsque je l’approche trop, elle vient se tatouer à ma peau, et m’enfermer dans ma tête: elle me pique, elle me coupe, elle me blesse. Lorsqu’elle s’approche de vous, elle vous blesse aussi, elle vous éloigne et je vous perds.
Il y a la ligne du bord, et le panneau qui est posé devant est illisible pour vous.

Il y a la ligne du bord, parfois muraille, parfois gouffre, où les ponts s’écroulent et les échelles tombent. Elle me fait dérailler, elle me fait maçonner pour recommencer, encore et encore, brique par brique, tout ce qui se détruit. Brique de honte, brique de détresse, brique de culpabilité, brique de solitude, brique d’échecs. Mais personne n’a jamais construit le moindre mur de brique en tremblant.

Il y a la ligne du bord. Elle est tracée là, devant moi, comme un serpent qui ondule et se mord la queue, mais ne cesse jamais de glisser le long de mes jours ou de mes nuits.
Il y a la ligne du bord qui se met entre nous: je me décale, je suis décalée, sur mes épaules c’est lourd, et devant mes yeux votre horizon est flou. Je ne sais pas parler avec les mots de votre horizon, mon vocabulaire intérieur est un champ de bataille continu.
Il y a la ligne du bord et c’est une frontière qui ne se traverse que d’un côté, celui pour apprendre l’horizon. Le vôtre.

Il y a la ligne du bord et je marche dessus, comme un fil tendu à chercher l’équilibre au dessus du vide qui est là constamment.
Il y a la ligne du bord, qui me précipite dans mes émotions, dans la conclusion finale avant même d’avoir regardé au delà du précipice. Elle m’empêche de voir, elle me ment, elle déforme tout ce qui est au delà d’elle et me garde enfermée dans son théâtre au grand rideau rouge-couperet.

Parfois, de l’autre côté, le soleil se lève, et c’est si fort que je me sens soleil.
Parfois, de l’autre côté, la lune brille, et c’est si fort que je suis bien lunée.
Parfois, de l’autre côté, des étoiles tombent et la douleur qui explose en moi est si forte que je me transforme en ligne, et je n’ai plus de bords.
Parfois, de l’autre côté, quelque chose me fait mal, et c’est si fort que le temps s’arrête et que le ciel entier me tombe sur la tête. Ce n’est pas une averse, une simple averse. C’est un orage et je deviens la déflagration même du tonnerre. La ligne du bord devient éclair. Je tonne, je zigzag, je brûle. Je mets le feu à des champs d’amour et lorsque le grand incendie s’est éteint, il ne reste qu’un champ de ruines et de cendres. Dans un silence assourdissant.
Parfois, de l’autre côté, des gens partent, car ils n’ont pas su lire le panneau de la ligne du bord, et ils ne comprennent pas. Ils ne comprennent ni le mur, ni le gouffre, ni le vide, ni les ponts ou les échelles, ni le soleil-lune. Et ils ont trop peur de l’orage. Du trop.  


Moi je ne peux pas partir quand c’est trop, c’est le contraire. Ça m’aspire, et ainsi je m’y enfonce totalement.

Il y a la ligne du bord. Elle n’est pas segment. Elle n’a ni début, ni fin. Elle est juste là. Infiniment là. Posée sur mes lèvres, sur mes doigts, sur mon bras, le long des artères et dans le crâne, à palpiter et bouillonner, dans mes pas, dans mes gestes, dans mes trop, dans mes mots, dans mésestime, dans mélancolie, dans mais comment faire.

Il y a la ligne du bord, glaciale et brûlante comme un fil électrique qui embrasse le monde et l’embrase.

Il y a la ligne du bord sur laquelle je dois apprendre à rester debout, d’un bord à l’autre, de votre monde au mien, sans trébucher, ni à tribord, ni à bâbord.  

Il y a la ligne du bord.



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