Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
S'asseoir au bord du monde
26 octobre 2022

Journal d'une absence.

 

temps

 

***

Frêle étreinte d’un séjour de l’éloignement. Car c’est uniquement de cela qu’il s’agit. J’envie les ceusses qui s’éloignent d’un lieu ou d’un qui, dans la continuité sereine de leur chemin. Et non pas le couteau sous la gorge, à s’échapper pour se créer des recommencements. Par la force. Volonté de dé-lier pour survivance impérieuse. Il paraît que c’est courageux ; ça le serait s’il y avait d’autres choix possibles et que le choix se fasse sur le plus dur. Il n’y en a pas. D’autres choix. Rien de courageux là dedans.

Les étendues grandioses en robe de montagne, parées de colliers de feu au crépuscule et de dentelle de nuages au matin ; essayer de lire Sénèque qui parle de la brièveté de la vie comme si ça pouvait devenir un remède ; pleurer sous les chênes merveilleux et parler aux champignons ; ou écouter la chanteuse au nom de fruit qui ramasse des pierres au bord de l’eau et essaye de consoler le monde entier.


Peut-être que ça parle de la même finalité que celle évoquée dans Consolation à Dagerman, de C. Montserrat-Cals - et oui, même mes lectures sont tu-imprégnées. J’ai attendu plusieurs mois pour le lire, dans l’impossibilité d’en ouvrir les pages, tétanisée du souvenir que cela allait faire exploser en moi. Ce qui est ridicule, tu offres des livres à tout va. Comme si ça avait été un geste particulier. Ce sens, ce récit en soi que l’on met dans le gestes des autres quand il n’en est rien a fini de m’auto-exaspérer.
Alors, voilà. La consolation -viendrait- d’ici: dans la bonté, de l’autre à soi. De ce il/elle, de ce tu, à je. Fugace, impromptue, éclair, feu. Imprévisible, inattendue. Embrasement, embrassement. Pas celle des morales religieuses, celle qui fait parler un cœur en un regard pour soulager le deuxième, sans retour attendu. Touché-consolé. La consolation ne provient pas du je. On ne peut s’auto-consoler.
Dagerman s’est, selon l’auteure, tué car il n’a « pas su accueillir cette bonté », s’est refermé sur son silence des mots et sa douleur.


Et s’il ne l’avait tout simplement pas croisé? Nulle part? Et si aucun signes, si infimes soit-il, de cette bonté n’était jamais apparu dans le champ de vision de son âme en attente? Qu’est ce, le contraire de cette bonté? Qu’est ce, l’absence de cette bonté? Le banal. Le quotidien. Le dé-vivre ensemble. Tout un chacun.e noyé.es dans nos tourmentes et nos propres appels à l’aide. Qui tue qui? Qui défait les espoirs? Qui construit puis alimente les attentes? Qui nous fait nous sentir si seul.e, laissé.e à part, que le gouffre nous appelle à lui, nous enveloppe, nous berce, seule présence concrète? Qui nous enlève ce goût des joies, ce désir de l’envol, cette recherche de jouissance du tout, ce feu brûlant de faire corps guidé par notre propre individuation? Ce je à tu. Ce je à nous. Ce je au monde. Est-ce uniquement je? Sommes nous malades de ce je? Ne sommes-nous pas tout autant malades des autres? Qui est ce je sans tu?

Je crois que si je fuis dans les montagnes, c’est pour m’entourer de cette immense bonté géographique et céleste ; rien en moi n’attend plus celle-ci des âmes errantes, fatiguées et malades de vivre qui m’entourent, ni des bienheureux ou des sages, qu’importe leur sourire, leurs rires et leur tendresse. J’ai bien compris que la tendresse ne faisait pas tout, mot fourre-tout. Rien en moi n’a envie, désormais, d’attendre quoi que ce soit de l’autre. Dagerman s’est tué, inconsolable ; je crois que j’ai tué l’Autre, déchirée d’une présence qui a parcouru mes tripes pleines d’un « amour impossible » (impossible… deuxième mot fourre-tout) pendant des mois, et lacérée du silence et du temps qui a dû s’imposer pour soigner.
Le silence ne soigne rien, il nourri les doutes, les peines de l’absence, et le lot de pérégrinations mentales du soi à l’autre - comment est ce qu'il le vit? ça a l'air d'aller, pourquoi moi j'en chie? - cet autre qui ne doit « plus exister », ni ailleurs ni là,  ne pouvant exister qu’à moitié, ne pouvant exister qu’amitié, le silence pour s’en défaire. Le silence n’est fait que pour s’empêcher de dire à haute voix: je t’aime, encore, toujours, tout le temps, partout. Le silence est ma propre main collée à la bouche de mon cœur. Il se couche le soir avec moi sous les draps, et un beau jour, explose. Raconter ces émotions pour ne pas s’y faire enterrer vivante.


Quant au temps, ça ne suffit pas de se dire ou s’entendre dire qu’il réglera tout: mon cœur n’est pas une horloge ; je suis au présent, pas au futur. Trop dans le passé, ça oui, je le sais. Mais s’il y a bien quelque chose d’intouchable, et de franchement contradictoire, c’est celui d’être certaine, au présent, que tout sera plus léger plus tard. C’est quand plus tard? Combien d’automnes? Combien de fois dois-je entendre à l’improviste La Princesse et le croque notes pour ne plus avoir cette boule dans le ventre qui remonte dans la gorge et se dégueule en soubresauts sous mes yeux? Donner du sens à des choses, des chansons, des images et des lieux, ça aussi, m’auto-exaspère. À quoi bon? Pourquoi se mémoriser quelque chose qui n’a plus lieu d’être, qui s’est explosé en plein vol.

Te fuir ; te dire un j’y arrive pas sans réponse ; ne plus rien te dire ; taire ; m’empêcher ; interdire ; nous enterrer ; effacer sans rien effacer ; repousser l’image ; la sentir s’immiscer dans la sieste, dans la nuit, sur l’oreiller, dans le café, dans la fumée de cigarette, la tousser, la crier ;  des verbes et des verbes ; l'écrire ; j’en brode mon chagrin. Je m’en épuise. Je, et toujours tu.

Que plus tard vienne, qu'il vienne et vite, t'emporte avec lui. Car moi non plus je n’ai pas la patience des femmes de marin.

Publicité
Commentaires
S'asseoir au bord du monde
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 6 045
Publicité