Sans doute que ce qui finira pas trancher sera cousine germaine d'un truc qu'on nomme la colère. Une colère saine. Pas celle qui veut détruire l'autre. Celle qui provient de la frustration, du manque, celle qui gueule qu'elle a perdu ses racines et que ça commence sincèrement à lui chauffer la bile. Etymologiquement parlant, du coup.
Ça sera ce bourdonnement, ce fatras intérieur incessant qui dit qu'on a paumé tout repères. Qu'on passe notre vie à danser sur le son d'une fanfare sans rythme mais qui cadence tout, alors que ça ne fait que du bruit, un sale bruit, sans mélodie. Un bruit crevant, éreintant, saccageur, meurtrier.
Quand on est en colère on se met à trembler. On a le sang qui monte à la tête. On serre les dents. On respire fort. Imagines, dis, imagines 9 milliards de personnes moins 1% qui fait tout ça en même temps. Imagines toutes ces veines bouillonnantes qui n'ont qu'une envie, de tout foutre en l'air. Parce que tout ce qui les entoure est pavé d'un gros rien inutile. Un gros pavé qui cache l'essentiel. Et ces 9 milliards moins 1%, z'en auront ras la gueule de nourrir un gros rien. Le genre de grosse bête immonde que plus tu la nourris, plus elle a faim. Elle en redemande. Encore et encore. Mais un jour ma grosse, t'auras une gamelle vide, parce que tout ces gens en auront eu assez de voir la leur et vide, et trouée, et de passer leur vie à remplir la tienne.

Mais pour le moment, je suppose que tu as de beaux jours devant toi, société. Bergère d'un tas de moutons dociles. Apeurés. Ignorants. Flippés de revenir à l'essentiel. L'angoisse de la simplicité. Pétrifiés face au brut. Ayant un besoin malade d'être sans cesse entourés. D'êtres humains. D'objets inutiles. De bruit. D'images. De chocs. D'émotions pré-fabriqués. Pour ne pas avoir à ressentir les leurs.
Le déni total des racines qui nous font tenir debout. Le rejet de ce gong sourd dans nos entrailles que l'on ne sait plus décrypter. Tambour qui résonne, lointain, étouffé dans une cage de névroses.
Sans cesse à la recherche d'un bouleversement. Que tout s'écroule pour se sentir vivre à nouveau. Sans accepter l'instant. La pureté du vif. Pressés. Et pleurant l'apocalypse intérieure maintenue en vie, sans l'assumer. Créant des excuses pour contrer l'acceptation. Asservis.

Heureusement qu'il y a toujours un mouton noir. Un vilain petit canard. Une herbe folle. Une coccinelle sans point noir. Un trèfle à 4 feuilles. Un sourire sans raison. Un silence sans gêne. Un gamin qui chantonne. Et un adulte aussi. Quelqu'un qui ne parle pas parce qu'il préfère observer et se taire. Des fous. Des fêlés de la caboche. Qui voient des étoiles en plein jour, et sont amoureux des cailloux et des pâquerettes. Des gens qui vont danser dans des déserts juste pour retrouver leur entrailles et dire bonjour à leur humanité. Des simples qui se foutent de savoir s'il fera soleil ou pluie. Tant qu'il y a des amis, un peu de bon vin, et de chaleur humaine. Des chaînes brisées. Des portes ouvertes. Et des banderoles comme des coups de poing. Cousues l'une à l'autre, d'un bout à l'autre de la planète. Pavillon de la liberté.

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