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Garder la tête froide. Vraiment?

"Nous sommes peu de choses", me dit cet ami, et le présent nous y soumet à nouveau, le couteau sous la gorge.
C’est une période difficile pour s’extirper des émotions, et prendre le recul nécessaire pour que la pensée s’infléchisse au delà de sa courbe du choc: la peur ne fait jamais bon ménage avec un esprit clair. Bien au contraire, elle brouille les pistes de la pensée, elle fait tressaillir et bondir, opère d’un sursaut comme le coup de marteau du docteur sur le genou. Fuir. Se retrancher.
La peur comme un acte de survie. C’est elle qui fait quitter des espaces de danger et en appelle aux gestes du corps, rapidité et action, se mettre à l’abri d’abord, sans réfléchir. Se mettre à l’abri d’un monde extérieur tout à coup menaçant.
Ou bien tout cesser totalement, le moindre mouvement, nous clouant sur place, dans une panique catalepsique, où le réel, devenu trop réel, nous rend prostré, nous shoote dans un fix d’immobilité.
Comment se mettre à l’abri, rationnellement, d’un danger qui est partout, et menace sans aucune limite spatiales ou temporelles? Comment se mettre à l’abris de ses propres émotions? Comment se garder des peurs?

Revoilà l’image glaçante d’un nuage de feu planant au dessus de nos têtes. Revoilà dans l’inconscient des nuits la terreur qui s’immisce. J’en rêve, car je suis préoccupée. Préoccupée de ne plus formuler la possibilité pour l’humanité de sortir de son propre marasme: voguant entre les traces laissées par un monde campé dans ses violences, dans la construction d’un récit du devenir où l’espérance se fait chimère, et une fatigue mentale qui s’emplie de doutes, doutes qui se multiplient et s’entrechoquent, sur le ring des faits. Coincée entre les soubresauts d’une Histoire qui balbutie ses ombres, d’un présent qui s’accélère, se durci, se pare d’épines, et d’un futur proche ou lointain où le moindre horizon se gorge de tempêtes: sociales, climatiques, géopolitiques. Et dans tout ça, sa propre tempête du soi, qui s’échine à écoper dans sa barque l’eau glaciale qui rentre de partout: ne pas sombrer.

Et pour quel but, au fait?

Intérieur et extérieur en discussion et luttes permanentes. Récit du soi et du monde en miroir: comment trouver du sens dans une absurdie totale. Et être paralysée quand le besoin de sublimer des silences trop lourds se fait; n’avoir ni les mots, ni le désir. Se laisser bouffer par la routine des jours et s’asseoir devant son propre spectacle, dans une impuissance délétère. Que même l’acte créatif ne sait plus enjamber. Rongée de l’amertume d’être au monde, à devoir valser une danse macabre.

Comment prendre la mesure de ce qui est, comment prendre la mesure de ce qui vient? Comment faire de cette mesure celle d’un tempo de joie, quand celle de la partition du monde se fracasse sous nos yeux, depuis toujours?
Quels outils pour faire le tri? Quels outils qui ne deviennent défaitistes, ni ne soient fait d’œillères dans un optimisme d’apparat, un mensonge à soi, ni pansement de surface pour éteindre le réel en pilules ?

Nous sommes peu de choses, et il conviendrait que cette pensée vienne panser le désespoir pour se remettre en branle et parcourir tout ce qui fait tendresse, humanité, et petits écrins de bonheur éparses. Pour ne pas céder au tout-est-foutisme, et abandonner, s’abandonner. Ne pas larguer son présent empoisonné par le passé et sous le joug du futur. Couteau sous la gorge, encore.

Oui mais, pour quoi au fait?

Vérité, justice, liberté, beauté, paix … Vanités? Monde en barbelés, trônes et superficialités. Murs dressés autour du banquet de l’Humanité, quand dans la caverne est projetée la grande histoire de la banalité du mal. Le rejet de l’autre et de soi-même en dessert. Et l’obsolescence de l’Homme (Gunther Anders) pour le café.

Mais franchement, les dés sont pipés, non?

À quoi on joue? À vivre? À vivre ou à survivre?

Est-ce vivre que de subir?

Pensée sur notre (ins)temps.

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