(Bic, acrylique ©PavillonNoir 2020)

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Paraît que le langage est la maison de l’être
Mais j’vous avoues que j’ai beau repeindre les murs
Chaqu’ fois que j’parle je me fracasse contre mes lettres

Comm’ si ma bouche avait revêtue une armure
Et entre les parois d’acier froid de mes mots
Le moindre de mes sons se transforme en murmures

Exprimer, dire, argumenter, parler plus haut,
Je monte sur le ring mais je frappe dans l’vide
J’ai les mots en sang, des ecchy-mot-ses dans l’propos

Comment faut faire pour parler FORT le cœur humide?
Par quelle magie puis-je donc faire taire tous mes silences?
J’ai l’autoroute des mots rongés par l’acide

Alors je toque à la porte de mon errance
Mais c’est ma mémoire qui ouvre et me dit « vas chier,
Si tu veux voir le sphinx, cambrioles ton enfance »

Alors me voilà les doigts tout englués,
Les pieds plein de boue sur des chemins de traverse
À recoller les morceaux d’un miroir brisé

Mais j’suis comme le soleil à côté d’Antares
Nageuse engloutie sous la vague de Nazaré
Comme un éphémère qui se débat sous l’averse

Et je me tiens là devant mon raz-de-marée
Au lieu de parler aux gens je parle à mes maux
Vas-y la vie, fais pas ta chienn’ file moi la clé

Écris moi des post-it ou laisses moi un mémo!
Et explique moi ce qu’il faut que je fasse

Pour retrouver l’itinéraire de mes mots.

Paraît que le langage est la maison de l’être
Mais faut croire que mon anarchie m’est contagieuse
J’ai la timidité qui m’gueule « ni mots ni être »

Et je suis tenue en joue sous sa mitrailleuse
Otage du bavardage de mon mutisme
J’attends qu’elle tire ses balles silencieuses

Sans déconner c’est quoi cet automatisme
Y’aurait moyen de rembobiner la cassette?
D’plus avoir l’rayon verbal québlo dans c’prisme?

J’ai des ampoules aux mains à jouer d’la machette
À chercher l’oracle paumé dans la jungle
De mon oral au fin fond de sa cachette

Le doigt qui tremble sur la gâchette d’un flingue
Posé là tout contre la tempe de ma voix
Si tu ne parles pas ma bell’, je te dézingue

Mais il n’y a rien à faire ça ne marche pas
J’ai la parlote en panne et les lèvres scellées
Et on a beau me dire "ça viendra tu verras"

Vous avez pas idée et ça me rend fêlée
« T’exagères meuf tu t’exprimes très bien », moi
J’ai juste l’impression de m’entendre bêler.

Paraît que le langage est la maison de l’être
Ça a l’air tellement plus simple quand c’est toi
Qui assemble les mots comm’ on ouvr’ une fenêtre

Comme si ta voix se transformait en oiseau
Moi j’ai les volets clôts et la porte scellée
Le verbe emprisonné tout au fond d’un cachot

Dès que l’émotion monte c’est la panade
Cette garce me submerge et je me retranche
J’ai la tête vide et le cœur en chamade

Mon seul secours est de sortir de mes manches
Une baguette magique bien-nommée crayon
Afin de briser tous mes non-dits étanches

Alors j’écris, croque, ou griffonne des images
Car c’est bien là le seul moyen pour moi de faire
de mon être la maison de mon langage.

(juin 2020)

Paraît que le langage est la maison de l'être.

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